La semaine dernière je me suis réveillé dans le Kentucky. Dans un hôtel Radisson aux airs de prison, je sors de mon lit. Le jour se lève, j’entends la machine à glaçon, énorme dans le couloir. J’allume la télévision et commence ma culture physique quotidienne. 11 mouvements, 10 minutes, pour se réveiller en forme. En boucle, 2 sujets dominent le journal matinal de Fox News : Riley, la « bombe météorologique » sur la côte Est, entre inondations, vents violents ou encore neige dure et, suite à la fusillade dans le lycée Marjory Stoneman Douglas, la NRA et le rapport aux armes. Inspiration, expiration. La pub arrive, je zappe, mêmes infos en titre sur CNN. J’éteins, douche and go.
Let’s get fat !
Dans les couloirs, le son sourd de l’air climatisé m’oppresse. Je me sens tel un détenu affamé. Ascenseur, je passe devant la piscine intérieure où un couple est en train de fondre dans l’eau bleue chlore. American breakfast en mode buffet : pancakes, bacon, sirop d’érable, jus d’orange, pommes de terre rissolées, yaourt… la journée va être intense ! Installé à table, je fais face à trois écrans. À ma gauche, une famille typique : le mâle est grand et tout juste bedonnant, la mère presque obèse, la trentaine. De dos, 3 filles, 4 ans, 7 ans, 11 ans, toutes au Coca-Cola. La plus petite, à la silhouette « normale », est déguisée en princesse. Crescendo vers la droite : plus elles montent en âge, plus elles se rapprochent de la largeur de maman. C’est flippant. Je mange avec appétit.
Je resterai 3 jours et prendrai 2 kilos.
Je sors avec mon jus de chaussette. Je vais m’en fumer une et tombe sur le banc où Amber, 17 ans, la peau ravagée par l’acné, maquillée à la truelle, dents cheloues et air flou, me demande de lui en rouler une. Il fait beau et froid. Elle est en stress car elle doit se rendre au tribunal tout à l’heure. Elle a franchi une ligne blanche, s’est faite prendre en flag’ sans permis. C’est chaud ! Devant nous au-delà du parking, une immense réserve de mobile-homes, celle de Tom Stinnett’s Campers Inn Rv. Derrière, une sorte d’autoroute urbaine mène vers l’un des superbes ponts de Louisville qui surplombent l’Ohio. À droite un camion au moteur imposant arbore deux grosses cheminées chromées. Amber pompe quelques lattes et se tire sans rien dire.
Je demande à la serveuse si tout est local et bio, elle croit à une blague et me répond un « of course » avant de rigoler nerveusement.
Je suis en mission pour saisir des moments de vie dans une fabrique
de Bourbon. Sur l’Interstate 64, je trace poussé par un moteur qui
souffle au rythme de sa transmission automatique. C’est un veau sous
stéroïde. Ils sont nombreux tout autour de nous à avoir des voitures
énormes et des plaques d’immatriculation sur lesquelles je peux lire
« In God we trust ». Sur les bas-côtés, des publicités vantent
la puissance de Dieu, des cabinets d’avocats ou la qualité des aliments
sans produits toxiques : « Proud of what’s not in our food ». Les miles défilent tout comme les églises et les TacoBell, MacDo, Domino’s, Burger King, Wendy’s, WallMart…
Nous quittons enfin la grand route. La lumière est sublime, les nuages
découpés au cutter, cerfs-volants blancs immobiles. Les maisons sont
typiques : de bois blanc avec leur banc-bascule. Je regarde l’horizon et
tombe dans le fond d’écran par défaut de Windows XP.
The Bliss point
Dans la distillerie, les vapeurs d’alcool m’enivrent et je flotte. Je repense à un invité du plateau télé de ce matin, l’inventeur d’une caméra qui filme non-stop chez vous. Si jamais quelque chose d’accidentellement drôle se passe, vous passez sur leur réseau en ligne. Une sorte d’aspirateur à vidéos gag. Il illustre avec les images d’un chien trop gros qui, en pleine nuit, se coince dans les pieds de la table du salon, s’agite de peur et fait tout tomber. « Vous voyez, avant vous vous seriez demandé comment tout cela a bien pu arriver. Eh bien avec notre technologie, non seulement vous savez, mais en plus vous êtes diffusé ! » On nage en plein 1984, la connerie en plus. « Tout le monde aime voir ce genre de moment ! » Content-content, l’entrepreneur.
Mon guide dans l’usine copie-colle Wikipédia et m’apprend que le bourbon est un whisky américain fabriqué à partir d’au moins 51 % de maïs, le reste étant généralement du seigle ou du blé. Il doit être distillé à moins de 80 %. Il est vieilli en fûts de chêne neufs noircis à la fumée. Il ne doit pas non plus subir de coloration ou d’altération de son goût entre la distillation et l’embouteillage. De l’eau peut être ajoutée pour ajuster le volume d’alcool entre 40 et 50 % à l’embouteillage. A la particularité de vieillir dans un fût de bois neuf, contrairement aux whiskys qui eux vieillissent dans des fûts originaires de partout, même d’ancien fût de Bourbon justement. Pendant la Prohibition, il était prescrit comme médicament pour contourner la loi qui interdisait la vente d’alcool.
Lunch break, juste remis de mon breakfast au sucre gras. Je choisis un sandwich au bœuf et aux fromages. Pain brioché, 6 couches de bœuf mariné, légère sauce brune, 2 couleurs de cheese fondus, une cannette de Coca-Cola et en dessert une salade de fruits sauce mayonnaise. Je viens de rentrer de plain pied à Sugarland. Je mange à pleines dents. Je salive beaucoup. À côté de moi, une compatriote qui a choisi par souci de légèreté un sandwich au jambon découvre qu’elle a trois sortes de jambon dans son sandwich. C’est un camaïeu de roses, du plus clair au plus foncé sur 7 cm. Let’s get really fat ! Je me délecte de mes 35 g de sucre pétillant et liquide. Je suis plein et atteins mon premier « bliss point », je suis heureux, très heureux. C’est le point de félicité, de bonheur suprême mis au point par la food industry américaine, la parfaite combinaison de sucre, gras et sel qui tourne la tête. Imparable !
En pleine montée de dopamine, je sue un peu et me déploie en mode super adventurer. Impossible de rester en place, j’engrange du contenu comme un dingue : photos, vidéos, photos 360°, timelaps, cinemagraphe et je retombe… comme en manque. Heureusement, un ouvrier me propose de gouter l’alcool pur qu’il utilise pour nettoyer la mouture finale de ses dernières impuretés. Il enlève le cadenas d’une fontaine logée dans un alambic en bronze. Le truc est à 70°, sans réel goût, fort mais pas dégoutant. « C’est pas du Schnaps ! ». En moins de trois minutes, je suis en remontée éclair. Nettoyé, je suis capable de parler 2, voire 3 fois plus vite que d’habitude. Je suis hyper bien. Je shoote, shoote, shoote. Bras magique, mini-pied, genou au sol, allongé, à droite, à gauche. 15 minutes plus tard, je retrouve mon rythme de croisière. Je pense à prendre de cette potion magique avec moi pour tous ces moments où parler plus vite sauve la vie. Je cherche une bouteille d’eau vide mais très vite me dis que c’est vraisemblablement le meilleur moyen de devenir alcoolique. Stress. J’ai envie d’un Coca.
A briefer history of time
Nous reprenons la voiture en direction de la rack house, l’entrepôt où sont stockés les tonneaux pour vieillir et où les bouteilles sont remplies de Bourbon. Les gens qui travaillent ici me ressemblent pour la plupart, ils ont l’air jeune adulte et urbain. Il y a des gros, mais pas tant que cela. Ils font des gestes répétitifs, travaillent à la chaîne. Je me demande pourquoi des robots ne pourraient pas faire ce job et je me souviens de ma discussion dans le taxi en arrivant à Louisville où le chauffeur m’a expliqué que c’était un moyen de faire baisser le chômage. Faire travailler des gens un peu sur des tâches pas trop compliquées, de 7h à 15h. Je shoote à fond. Leurs mains, leur manucure, leurs gestes, les bouteilles, les machines. Chorégraphie bruyante et infinie.
Je suis au milieu des fûts maintenant au cœur de l’entrepôt et le silence règne. Il y en a des centaines. Certains d’entre eux restent ici un demi-siècle. Contemplatif, je me loge au creux d’une ligne de barriques. Je respire calmement, m’ouvre doucement. Un rayon de lumière enchante la poussière au sol et le bois diffuse son odeur. Sèche pour les poutres, presque grasse pour les fûts, j’imagine les différents goûts de Bourbon s’enrichir avec l’âge de leur histoire épicée, florale, fruitée, iodée, tourbée ou boisée… Comme la gravité, il infuse et donne à vivre en forgeant son relief.
« Time is now ! » me confirme ma pilote. Elle me ramène à Louisville pour dîner. Elle vit à Nashville, la ville qui monte et où la vie est de qualité. Bouffe, nightlife, culture, gens, niveau de stress au m2. The new place to be. Voilà 2 ans qu’elle est à son compte : tour-manager pour des groupes de country, production de temps en temps. Je relance sur Trump mais comme beaucoup ici quand ils sont contre, elle s’exprime et se comporte comme si le gars n’existait pas. « C’est le moment pour moi de prendre du plaisir, de penser à moi. La politique, je m’en fous, moi je pense à moi. » Le ton est donné. Comme si c’était une parenthèse désenchantée et tragique sur laquelle ils n’ont aucune emprise.
Elle me dit qu’elle n’est pas croyante mais dès que l’occasion se présente évoque Dieu. « Oh my God ! Tu vois c’est l’état white-trash par excellence ici. Ici et dans le West Virginia, l’État d’à côté. Les Redneck naissent, vivent et meurent au même endroit. Ils se gavent, font des jobs à la con et rentrent chez eux manger de la merde ! C’est incroyable, personne ne se remet en question. Y a plus de recul, que des boucles. » Elle se considère chanceuse de ne pas être dans ce cercle vicieux. Elle me recommande de regarder la série Teen Mom et reprend : « Moi je veux être heureuse, je ferai tout pour ça. » Elle sort une cigarette électronique. « C’est du THC, très pratique pour voyager… » Je confirme, pompe et ajoute : « Très fort aussi. »
À table !
« BEef HAPPY » est écrit en gros sur un panneau au bord de la route. Je vais gerber, mais en fait non. La vie défile, difficile de faire demi-tour sur l’autoroute. I don’t worry, l’important c’est le chemin. Du bout du doigt, j’ouvre la fenêtre et je vais mieux. Je revois Edward, 19 ans, ce jeune obèse qui rêve de devenir chanteur professionnel et qui est devenu personnage d’une télé-réalité pour obèses. Sur une chaîne perdue dans ma télé, il revient juste d’une liposuccion. Je le découvre frétillant flasque du haut de ses 250 kilos, heureux de nous apprendre qu’enfin il peut toucher son volant et donc utiliser sa voiture.« C’est la liberté ! Je vais pouvoir aller où je veux maintenant. »
On le retrouve chez sa prof de chant qui désespère de sa faible musculature abdominale, un vrai souci pour chanter. Mais notre ami a le temps, maintenant qu’il travaille sur lui : tout est possible ! Il peut s’améliorer, se bonifier comme du Bourbon, prendre en saveur. Il cuisine chez lui des courgettes, des aubergines et des carottes, pour lui, sa mère et ses sœurs, toutes obèses. « C’est génial, il nous fait découvrir des légumes dont nous ne connaissions même pas le nom. Et le pire c’est que c’est bon ! On aurait du nous en parler plus tôt ! » exulte sa mère coincée dans sa chaise. Stakhanov de l’Empire Américain, Edward triomphe déjà. Il rêve, les yeux perdu dans le vide, et souriant, il glisse ses créations végétales dans son énorme four. Je suis pris d’un cynisme terrible. What the health !
Nous arrivons downtown. Le Kentucky est l’un des États qui a le plus voté pour Trump, à 62,5 %. Mais Louisville en est l’une des 2 villes démocrates. 700 000 personnes vivent ici. Nous sommes à l’intersection de Muhammad Ali Blvd (il est né là) et 3rd Street, c’est le quartier de Fourth Street Live, un centre commercial à ciel ouvert, une rue commerçante faite de bars, de restaurants et de bars et de restaurants. À côté du Brendon’s Catch 23 où je suis attendu, une bande de jeunes en hoodies noirs prêchent et arguent la foule. Il vocifèrent des trucs à propos de Jésus et de Dieu depuis un micro relié à une grosse enceinte. C’est Insane, façon fin du monde !
À table dans ce grand, contemporain et beau restaurant, je découvre le menu. C’est la pagaille dans mes entrailles. Il est immense, la viande est omniprésente, il y a du poisson, des huîtres, des plats gluten-free, végétariens, des salades aussi. Je commande un cœur de rumsteak à la sauce Kentucky. Je demande à la serveuse si tout est local et bio, elle croit à une blague et me répond un « of course » avant de rigoler nerveusement. La viande arrive avec sa sauce, sa salade aux noix en extra et ses frites. Elles ont l’air sèches. J’attaque et vite commence à ressentir une sorte de brûlure aux lèvres. Tout est tellement salé que je n’arrive plus à manger. J’ai beau boire de l’eau, cela ne va pas mieux. Frustré carrément, je file au toilettes et vidange. C’est Tchnernobyl. Je digère très mal ce nouveau régime hyper-protéiné et hyper-calorique. Comment font-ils ? Dans la rue, le prêcheur a été remplacé par un Human-Beat-Boxer.
Enter the void
Au bar de l’hôtel, je commande un bourbon : du Bookers. Il a un goût étonnamment doux, moelleux, accessible. La serveuse grande et large a un visage d’enfant de face et de vieille femme usée de profil. Je pose sur le bar le bouchon du fût neuf que m’a offert le guide un peu plus tôt à la rack house, l’entrepôt. Je lui adresse un : « Vous voyez, l’autre jour, j’avais des flashs-backs, mais je n’étais certain de rien. Et ce matin je me réveille avec ça dans l’oreille ! » Je prends le bouchon de bois et le mets sur mon oreille. « C’est la preuve que c’est arrivé ! I’ve been fucked by a baril ! » Elle vacille un peu… en biais.
Au-delà de mon humour douteux et connoté sexuellement, en général, les inconnus ne sont pas portés sur l’humour pour communiquer, je veux dire à part les blagues hyper-attendues, admises, ou de connivence. Alors, je pense à la liberté d’expression qui décline dangereusement un peu partout sur notre planète. Combien sommes-nous encore à pouvoir jouir vraiment de notre liberté de penser et de nous déplacer ? Elle me ressert un bourbon —du Blanton’s— et vaque à servir d’autres clients. Il est finement boisé, épicé aussi. De l’autre côté du zinc, face à moi sous une télé en arrière plan, un couple mixte : noir et blanche à l’air heureux, coquin même. It’s time to sleep.
Réveil dans un Best Western Hotel de Lawrenceburg. Lever de soleil sur la vallée et le parking façon centre commercial. Sur la droite, un Domino’s Pizza. Tranches oranges, roses et bleues marines, le ciel me nourrit de joie. Fox News en fond, inspiration expiration, je fais mes exercices matinaux. La question des armes est loin d’être réglée. Détour dans une cafétéria au fin fond du Kentucky. En direct, le journaliste passe le micro à une ancienne institutrice, accompagné de sa fille et de son fils hyper-actif déguisé en cowboy de l’espace. « Non, mais sérieusement, de mon temps c’était vraiment différent, maintenant il faudrait des sacs transparents pour les élèves ou vous savez ces espèces de portiques comme dans les aéroports ». Bonne idée. Le micro se déplace et arrive sur la table d’à côté où un vétéran de l’armée explique que la solution est tout simplement de donner la possibilité aux profs de se défendre. « Let them have guns ! » Of course, je n’y avais pas pensé.
Je descends prendre mon breakfast d’un pas rapide, j’ai la peur au ventre. Je sue. C’est vraiment la chiasse américaine, heureusement les ventilos au plafond me rafraichissent. Je comprends pourquoi tout est climatisé, ils ont chaud en permanence, ils sont mal en attendant leur prochain rush, leur prochain bliss-point, enfermés dans leur graisse. Ils ne pensent plus qu’à ça. Je ne supporte plus. I want my body back !
Black Mirror
Face aux faux œufs au plat, au mini-steak, au yaourt aux 17 grammes de sucre (j’ai pris le temps de lire l’étiquette aujourd’hui), je respire à fond et prends du bacon, des pancakes et du sirop que je pense d’érable. L’inévitable écran diffuse The Wheater Channel, la chaîne qui monte, je me dis que le décrochage écologique a commencé. Le journaliste est emmitouflé dans son passe-montagne et commente enthousiaste les dégâts de la tempête. Des plaques de frost sur une mare débordent de la maison juste derrière. Je crains pour mon vol de retour, je veux partir vite, quitter cette fabrique de clones gras et au cerveau dans l’estomac. Je deviens hyper-cynique, j’en ris et cherche l’ironie. Mais je n’ai pas de ligne de fuite, je ne vois pas d’espoir pour ces cobayes de l’industrie agro-alimentaire.
En pleine montée de sucre, un jeune père m’arrache à mes pensées. Il guide du bras ses 2 filles de 7 et 10 ans pour qu’elles soient parfaites au self-service, comme s’ils étaient filmés en permanence. « Prends un plateau, une assiette, prends de tout, dans l’ordre. » J’imagine un dispositif 4 caméras qui les filme. Assoiffé, à deux doigts d’un overbliss-point, je demande un verre d’eau. Le waiter de donne un gobelet en polystyrène de 33cl plein à ras-bord d’eau et de glace. Je le contre d’un œil dépité et d’un mouvement de main calme. Je lui redemande un verre d’eau. « De l’eau par pitié. »
« Prends un plateau, une assiette, prends de tout, dans l’ordre. »
Soudain, j’ai peur. J’espère qu’il n’y a pas de caméra ou de police
de la pensée branchée sur mon cerveau. Jésus… me regardes-tu médire de
tes brebis ?
C’est malade. Tout le monde se surveille en permanence. Il faut bien
faire sinon pas de récompense. Seul exutoire : manger. Quand l’esprit
lâche le corps, irradié de plaisir, quand l’angoisse est vaincue par la
trinité : sucre, sel, gras. Tous toxicos malgré eux. Piégés dans la
matrice pour toujours.
À cause de leur puritanisme, le plaisir de la chair, du corps, c’est
très très compliqué. Alors ils bouffent du sucre, du sel et du gras, qui
provoque la sécrétion de dopamine dans le cerveau, le plaisir. Mais à cause de l’accoutumance, vous devez consommer davantage, et vous méfier de l’effet de manque si vous freinez votre rythme. La boucle est huilée.
Devant l’hôtel, je fume un café et entame la conversation avec Chuck. Ancien des forces de l’ordre, sa femme connaît bien la France, elle a travaillé pour Dassault toute sa vie. Il est ravi de pouvoir en parler. « Marseille, oh yes, it’s great ! » Il enchaine et m’explique qu’il vient de s’installer juste à côté. « I come from Little-Rock, c’est impossible là-bas. C’est devenu une ville African-American, comme Chicago. Y a des guerres de gangs, c’est plus possible. Ici c’est tranquille. » Je le salue en français, il sourit et m’envoie un « Take care ».
Direction le coin cool de Louisville, le vieux quartier, avec ses friperies, ses TacoBell et Burger King, je croise une enseigne qui propose des tacos gros comme ma tête, je prends une photo et continue à marcher. Sur ma droite une femme prend 2,5 places assises à l’arrêt de bus. Je fantasme d’un Coca-Cola à la sauce brune avec des morceaux de bacon… la réalité est que mon ventre a la migraine, je suis vraiment de travers et je n’ai aucune idée de ce que je pourrais manger, je n’en peux plus. Comment font-ils ?
Je saute dans un Uber, direction le mall. Le chauffeur roumain conduit une Lexus qui me rassure sur l’ouverture des habitants de la ville. Sur le bas côté dans un quartier résidentiel, il me montre une plaque où est écrit l’équivalent de « Refugees welcome ». « C’est un pied de nez à Trump, ici on l’aime pas ! Cette ville est très accueillante. Have Fun ! » Marche arrière, je me suis peut-être emballé dans mon analyse du terrain. Il y a des gens sains ici aussi, si si.
Let’s twist again
Éternel fan du cool américain, je pousse les portes du grand mall et constate qu’il est interdit d’y entrer avec une arme. C’est ici que les automobilistes devenus piétons se rencontrent face à face. Je fais le tour des boutiques, mais l’hyperchoix me rend super wavy. L’air propulsé me re_conditionne mais physiquement, choisir m’indispose. Je persiste et tente de trouver des perles, je scrute les marques inconnues, les trucs cool qu’on ne trouve qu’en Amérique : aux States ! Sueurs. Mais rien de spécifique. Internet et le made in China sont passés par là, alors je me dis que je peux trouver tout ça en ligne ou dans n’importe quel mall en Occident. La nourriture est acidulée et totalement exotique, mais je rêve de soleil sur une terrasse, de pâtes et d’un verre de vin rouge.
Je continue ma quête et heureusement, au coin d’une allée, trouve une boutique street-wise stylée et déniche enfin une pièce : un sweat abusé tellement y a de couleurs, signés YRN pour Yung Rich Nation et découvre la marque Odd Future. Le vendeur est canon. Métis, genre Pharell Williams mais il a l’air plus gentil. Je craque aussi pour une paire de chaussettes camouflage fluo bleu et rose pastel. Mission accomplie, expérience vécue. Maintenant, il faut partir. Back in da cab, en manque de sucre !
Avant de prendre l’avion, je retourne à Fourth Street Live pour tester un dernier restaurant à viande. Je commande la spécialité, The Smoke House : il est composé d’un pain brioché au beurre à l’ail, qui accueille un steack haché, du porc fumé effiloché et du lard fondant. Le tout accompagné de sa sauce brune au Bourbon, de la donkey sauce (à base de mayonnaise), de gouda fumé, des oignons frits et des frites. Quel kiff, je suis vraiment accro. J’avale le truc en quelques bouchées, j’en ai plein les doigts, je les lèche. J’en ai autour de la bouche, je la lèche. Je bliss-point tranquille, maintenant plus au fait de la réaction de mon corps, ou plutôt de mon esprit. Je suis aux anges mais mon corps en chie lui. Il est temps de sortir de cette fumerie d’opium.
Dans la Cadillac vers l’aéroport, Aron, beau black la cinquante à la voix Barry White, m’invite à revenir en mai pendant le Kentucky Derby. Il est tellement drôle, vif et agréable qu’il me fait replonger dans mes meilleurs souvenirs américains. Des lieux, des gens, des rencontres incroyables. Ma mauvaise langue se dérobe, je reprends goût et « Le pire engendre le meilleur », scande un preacher de rue à notre arrivée à l’aéroport.
God Bliss America !
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