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Sounds Of Sahara : danser, résister.

Extrait du numéro 91 de Tsugi (avril 2016)

Planté au milieu du décor de Star Wars, le festival Sounds Of Sahara montre une Tunisie libre, imperméable à toute forme d’intégrisme. Un mirage ? Carnet de bord dans le désert.

Sur une route de plus en plus sablonneuse à mesure que s’avance le désert, le 4×4 roule à vive allure. Au loin commence à se dessiner le décor de Tatooine, le village où Anakin Skywalker a passé sa jeunesse. La fenêtre est ouverte et déjà, en plus du vent doux et sec, le beat se fait entendre. Il est 17 h, le ciel laiteux et le soleil lunaire. Sur le chemin, des jeunes gens sont en train de parcourir à pied, en mobylette ou en camionnette les 14 km de piste qui mènent jusqu’au dancefloor.

Nous sommes à 34 km de l’Algérie, en pleine “no go zone” d’après les agences de voyage. DJ Babaya est aux platines, il ouvre les hostilités de ce deuxième jour du festival Sounds Of Sahara et fait danser les premiers arrivés dans ce décor d’habitations creuses et sans âge sorti de l’imagination de George Lucas. Il y a aussi des écrans devant et derrière cet immense DJ‐booth planté dans le sable. Même s’il ne fait pas nuit, le light show commence à découper le ciel de ses rayons multicolores et le son est précis et puissant. La présence des forces de l’ordre est importante, 600 policiers, des voitures, des motos, des hommes armés tout autour du spot. Les dunes virent au gris foncé comme le ciel

Dans un coin de la tente V.I.P, le Français Jef K discute avec Yassine et Samir du groupe Jugurtha, fusion de musique orientale et d’électronique. Les danseurs carburent aux boissons énergétiques, boivent de l’alcool fort et de la Celtia, la délicieuse bière locale. Jef entame son set et commence à lever les bras en l’air, heureux. Il est suivi des Espagnols Aaryon et Animal Picnic qui continuent à mettre le feu au pays de Jabba le Hutt pour le plus grand plaisir des hommes des sables et des quelques gazelles cheveux au vent et vêtements moulants. Ils sont quand même 2 700.

LE S.O.S. DE LA JEUNESSE 

Sami Mhenni, l’organisateur, range son téléphone, prend sa respiration et explique le concept : “On a choisi les initiales S.O.S., Sounds Of Sahara, pour passer un appel au secours pour la région. Et tous les DJs, qu’ils soient tunisiens ou étrangers, ont compris l’importance d’être là.” Jeune diplômé en tourisme, DJ Babaya confirme : “Depuis la révolution, il n’y a quasiment plus de touristes. Ajoute à cela les trois attentats de suite et c’est la catastrophe. Ce que je sens tout de même, c’est que les gens d’ici ont décidé de ne plus avoir peur, les jeunes surtout.” Sami poursuit : “Notre intérêt, c’est de faire travailler la région, de donner une bonne image de la Tunisie. Ici sur vingt‐cinq hôtels, il n’en reste plus que quatre en activité, il faut s’organiser pour faire bouger cet endroit magique.” 

Jugurtha monte sur scène, Yassine se met à jouer du Nay, la mythique flûte oblique arabe en roseau, la foule est surprise et se calme. Visiblement, elle n’est pas venue ici pour entendre ces sonorités typiques, mais du gros son, bien binaire. Le beat rattrape les volutes flûtées et la danse repart en rythme. Sami s’enthousiasme : “Il y a une nouvelle jeunesse avide de ce genre de festival partout dans le pays. Elle a envie de s’éclater, de se libérer. En Tunisie, on a une scène qui se développe, nos DJs comme Ines Afs ou Malko du collectif Piknik excellent aussi à l’étranger. Et on a deux habitudes : en été, il y a des plages, donc on fait la fête sur les côtes, en hiver, on danse dans le désert.”

LE PARCOURS DU COMBATTANT 

Depuis une dizaine d’années en Tunisie, l’écosystème techno s’organise, surtout dans les grandes villes. Avant la révolution, c’était en petit comité, dans des lieux privés. Puis cela est devenu plus visible, public même. Au Tutu, nouveau lieu branché à Tunis avec vue imprenable sur la mer, Haythem Achour, alias Ogra, le créateur du lieu et élément clef de l’activisme techno en Tunisie, est assis tranquillement. Il a coorganisé une rave illégale dans un grand hôtel à Tunis pendant le couvre‐feu au moment de la révolution (Under Couvre‐feu), monté le Plug, la référence des amoureux de musiques électroniques à la Marsa, près de Tunis (fermé depuis), et dirige un collectif, Waveform. Il vit entre Berlin et Tunis, il compose et est DJ. À ses côtés, Aly M’Rabet, DJ et activiste de la scène électronique et Farès Chéraït, alias DJ Shmeta, designer de mode et coordinateur du festival S.O.S. Dans un décor tamisé tout à fait international, humble et bien travaillé, ils repensent ensemble à la manière dont la techno est entrée dans leur vie.

Pour Ogra, cela vient des cérémonies de Stambeli (Gnawa en Europe), de la Isawia (soufi), du théâtre, de la danse contemporaine et Viva, la chaîne musicale allemande. Pour Aly, c’est en découvrant Waveform, le Collectif d’Ogra. Pour Farès enfin, c’est le hip‐hop, la mode et ses défilés. Ils ont tous voyagé en Europe et même au‐delà, ils aiment Tunis, mais s’accordent sur le fait qu’il faut se battre pour pouvoir faire avancer la cause. Se battre contre le ministère de l’Intérieur, le ministère du Tourisme, la bureaucratie, les préjugés (la techno est encore très associée à la drogue, qui reste un vrai tabou), la récupération politique et l’establishment, les vieux, la police, et la corruption, encore très présente. Défendre la techno en Tunisie, c’est le parcours du combattant.

ANNULATIONS ET SOLIDARITÉ 

Retour dans les dunes. En 2014, un premier festival, les Dunes électroniques, est lancé par les Niçois de Panda Events : un succès. Mais la météo de la seconde édition sera fatale à l’événement, trois jours de pluie qui vont refroidir les organisateurs. Pourtant, le ministère du Tourisme tient fermement à voir se développer une “tradition”. Il met donc la pression pour maintenir aux mêmes dates un festival de musique électronique. 

Une équipe est formée, elle a moins de deux mois pour boucler le tout. Tragiquement, l’état d’urgence est déclaré en décembre. En janvier, c’est le couvre‐feu qui est mis en place. Le doute plane, mais l’équipe n’a que le choix de réussir, le ministère ne lâche pas l’affaire. Les DJs acceptent de venir. Mais, juste avant l’événement, la rumeur que la soirée dans le désert ne sera pas sécurisée tourne : un policier a dit à la télévision qu’il n’ira pas sur le site. Effrayé, l’un des tourneurs annule certains DJs prévus. Solidaires, d’autres acceptent au pied levé. Heureusement, une lettre officielle de la police est publiée, le festival sera finalement protégé. Vient le tour des caprices du désert : à midi, le jour J, alors que les festivités doivent débuter à 14 h, une tempête de sable se lève. Le décor bouge, mais ne rompt pas. Quatre heures plus tard enfin, la fête commence. La soirée se déroule comme prévu, mais devra tout de même s’arrêter d’un coup sec à 22 h au lieu de minuit. Les forces de l’ordre se disent débordées. À 22 h 11, plus personne à Tatooine, tout le monde est parti au Palm Beach de Tozeur pour l’after. Pari tenu.

LA LIBERTÉ DE DANSER 

De retour à Tozeur, Ines Afs se met à jouer. Son son est dur, elle tape fort. La matière brute pleine de testostérone qui se tient face à elle est labourée, tabassée et, visiblement, en redemande. Direction Diar Abou Habibi, un hôtel perché dans des palmiers. Dans une cabane, le beat reprend sur un mini‐sound system, les DJs alternent et la techno perdure. Sur le balcon, Jef K, 25 ans de deejaying, rappelle les fondamentaux. “La musique électronique n’a pas de paroles, tu peux jouer n’importe où, et tu peux faire passer la vibe et parler à n’importe qui !” Medhi, animateur radio sur Shems FM, rebondit : “Quand on donne une liberté soudaine à quelqu’un, ça part dans tous les sens. C’est la liberté de penser, la liberté d’écouter, la liberté de s’exprimer, la liberté de danser aussi. Avec la musique électronique, on peut danser de n’importe quelle manière, c’est ce qui est intéressant.” 

Il est loin le temps de la house commerciale, de la soupe dans les grands hôtels sans âme pour touristes. Très connectée au monde, la scène tunisienne évolue avec une esthétique urbaine dotée de ses propres lieux en dur ou éphémères et de ses artistes confirmés comme Hearthug, Benjemy, Haze‐M, Da che, du collectif Hype, et Znaidi, ou en devenir (selon Ogra), comme Basic, Dawan et Marwa. Son public est exigeant et curieux. À Tunis, il échange et partage au Wax, le bar à vinyle de Gamarth (un quartier de Tunis) et danse jusqu’au bout de la nuit au Carpe Diem de La Marsa, à l’Odéon ou encore dans le tout nouveau club techno le Subway (ancien The Basement). Parce qu’ici comme en France, nous ne voulons pas nous coucher. (Faltot)

www.soundofsahara.com


La version audio !


Article paru dans Tsugi Avril 2016

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Xavier Faltot

Xavier Faltot: Media Mutant, brille par ses images expérimentales, mêlant art, technologie, cinéma et poésie. Dès ses débuts avec l’artiste Shu Lea Cheang, il sait capturer et danser avec le réel. Ses œuvres, à la fois provocantes et captivantes, reflètent une compréhension profonde de la globale culture actuelle. Samouraï virtuel multimedia et pionnier français dans l'utilisation des outils offerts par le web, il attend depuis toujours l'arrivée des intelligence artificielles. Aujourd’hui à l’aise avec les machines qui créent en vrai, il joue et fabrique des mondes animés à la carte ou des univers virtuels inconnus. ////// Xavier Faltot: Media Mutant, shines through his experimental images, mixing art, technology, cinema and poetry. From his early work with artist Shu Lea Cheang, he has captured and danced with reality. His works, both provocative and captivating, reflect a deep understanding of today's global culture. A multimedia digital samurai and French pioneer in the use of web tools, he has always awaited the arrival of artificial intelligence. Now at ease with the machines that create the real thing, he plays with and creates bespoke animated worlds or unfamiliar virtual universes.
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