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L'édito de Laurent Garnier à la ministre de la culture.

Chère madame la ministre de la culture,

C’est étrange, mais à la fin de votre discours le 22 octobre dernier sur France 2, j’ai eu la fâcheuse impression de ne pas avoir été concerné par vos annonces.

N’étant pas non plus un grand expert du langage politique, j’ai après votre intervention, demandé naïvement à ma femme si elle pensait que « le monde de la nuit » pouvait être inclus dans ce que vous avez appelé « le secteur du spectacle vivant ». Après tout, quand je suis sur scène, derrière des platines, tel un comédien, un musicien ou un danseur, j’ai l’impression de livrer, moi aussi, des prestations vivantes. Mais la moue dubitative que j’ai récoltée en guise de réponse n’a pas vraiment apaisé mes craintes. Alors, pour en avoir le cœur net, j’ai dans la foulée appelé un ami (du métier) pour lui poser cette simple question : « Rassure-moi V, quand notre ministre parle du secteur du spectacle vivant, elle parle bien de nous aussi quand même ?».

D’abord ma question le fit rire (ce qui ne présageait rien de bien bon), avant de me livrer sa réponse : « Ah non Laurent, nous on fait dorénavant partit du secteur du spectacle mort… Roselyne l’a annoncé maintes fois, le monde de la nuit ne dépend pas d’elle mais du ministère de l’intérieur !».

Au début j’ai cru à une petite blague (V peut s’avérer être assez blagueur !) mais j’ai vite compris que derrière sa réponse cyniquement drôle, V ne me racontait pas de carabistouilles.

C’est étrange car en tant que Officier des Arts et des Lettres, Chevalier de la Légion d’Honneur (remise par un ex-ministre de la culture qui a saisi de longue date la place éminente de la nuit dans le vaste espace de la culture et de la création) et DJ globetrotter (comme d’autres artistes de notre pays, je fais indirectement rayonner la France depuis plus de 30 ans à l’étranger) je pensais bêtement que les choses avaient évolué et qu’avec mes petits camarades platinistes nous avions dignement gagné notre statut et notre ticket d’accès au « monde de la culture ». Mais force est de constater qu’apparemment ce n’est toujours pas le cas.

Lors de votre allocution vous avez parlé de la grande souffrance du cinéma et du monde du spectacle vivant. En effet ces secteurs souffrent terriblement (comme beaucoup d’autres) depuis le début de la crise sanitaire. Mais fort heureusement pour eux, les salles de cinéma, les théâtres et certaines salles de concerts ont quand même pu rouvrir malgré un protocole sanitaire compliqué.

On entend aujourd’hui beaucoup parler de la colère des restaurateurs et des cafetiers due au couvre-feu. Mais là encore, même s’il est dramatique de constater qu’ils tournent tous aux ralentis, et de façon extrêmement contrainte, ils ont quand même eu, tant bien que mal, quelques possibilités de réouverture.

En revanche, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que, depuis début mars, le secteur « de la nuit et des clubs » (dont je fais intrinsèquement partie) est quant à lui totalement à l’arrêt. Pour nous la fête est terminée, et ce depuis maintenant huit longs mois.

Vous n’êtes pas sans savoir que comme les théâtres, les cinémas et les salles de spectacle, les clubs emploient (hormis les artistes et DJ’s qui s’y produisent) la même pléiade de personnels divers et variés que dans le reste du paysage culturel. Que ce soit au bar, en salle, à la caisse, au vestiaire, au ménage, mais aussi les régisseurs, la sécurité, les intermittents, personnels techniques, sondiers, les lighteux, les VJ, les promoteurs, bookeurs, labels, graphistes, imprimeurs…. Sans oublier l’impact économique indirect (fournisseurs, restauration, hôtellerie, transport, etc…). La liste est longue, mais surtout très similaire à celle du spectacle vivant.

Sur France 2, vous avez annoncé des chiffres relatifs aux aides adressées aux différents secteurs du cinéma et du spectacle vivant. Je ne reviens pas sur la répartition de ces moyens qui assument comme toujours des déséquilibres flagrants entre patrimoine et culture d’aujourd’hui, entre Paris et régions, entre culture classique et émergence, entre les « grandes maisons de la capitale » et le maillage territorial des indépendants… Mais une chose est certaine : une fois encore, et ce maintenant depuis de trop longs mois, l’espace culturel de la nuit a lui été totalement ignoré. 

Le manque flagrant de considération, l’ignorance émanant de votre ministère envers le secteur de la nuit et des clubs est clairement interprété par beaucoup d’entre nous comme une forme de mépris incompréhensible. Car que vous le vouliez ou non, les clubs et les lieux de cette culture nocturne étaient (quand ils étaient ouverts) des endroits bouillonnant de création, d’imagination et de partage.

J’étais, madame la ministre, sincèrement attentif et bienveillant quant à votre prise de fonction, impatient mais certain de vous voir nous représenter au même titre que les autres artistes, et affirmer le minimum de considération dû à notre secteur. Mais j’avoue qu’aujourd’hui, ne sachant plus très bien si je suis un « artiste du spectacle mort » un « artiste de l’intérieur », ou « pas un artiste du tout » je commence à avoir de sérieux doutes.

Bien à vous,

Laurent Garnier

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