Contre les ColonisateursLes HérosLES POINGS LEVÉSMYTHOLOGIEPour l'égalité des Races

Nelson Mandela

Nelson Rolihlahla Mandela (prononcé en xhosa [ xoˈliːɬaɬa manˈdeːla]), dont le nom du clan tribal est « Madiba », né le 18 juillet 1918 à Mvezo (province du Cap) et mort le 5 décembre 2013 à Johannesburg (Gauteng), est un homme d’État sud-africain ; il a été l’un des dirigeants historiques de la lutte contre le système politique institutionnel de ségrégation raciale (apartheid) avant de devenir président de la République d’Afrique du Sud de 1994 à 1999, à la suite des premières élections nationales non ségrégationnistes de l’histoire du pays.

Nelson Mandela I Quelle Histoire – TV5 Monde.

Nelson Mandela entre au Congrès national africain (ANC) en 19434, afin de lutter contre la domination politique de la minorité blanche et la ségrégation raciale imposée par celle-ci. Devenu avocat, il participe à la lutte non-violente contre les lois de l’Apartheid, mises en place par le gouvernement du Parti national à partir de 1948. L’ANC est interdit en 1960 et, comme la lutte pacifique ne donne pas de résultats tangibles, Mandela fonde et dirige la branche militaire de l’ANC, Umkhonto we Sizwe, en 1961, qui mène une campagne de sabotage contre des installations publiques et militaires. Le 5 août 1962, il est arrêté par la police sud-africaine sur indication de la CIA, puis est condamné à la prison et aux travaux forcés à perpétuité lors du procès de Rivonia. Dès lors, il devient un symbole de la lutte pour l’égalité raciale et bénéficie d’un soutien international croissant.

Après vingt-sept années d’emprisonnement dans des conditions souvent difficiles et après avoir refusé d’être libéré pour rester en cohérence avec ses convictions, Mandela est relâché le 11 février 1990. S’inspirant alors de la pensée ubuntu dans laquelle il a été élevé, il soutient la réconciliation et la négociation avec le gouvernement du président Frederik de Klerk. En 1993, il reçoit avec ce dernier le prix Nobel de la paix pour avoir conjointement et pacifiquement mis fin au régime de l’apartheid et jeté les bases d’une nouvelle Afrique du Sud démocratiqueN 1.

Après une transition difficile où de Klerk et lui évitent une guerre civile entre les partisans de l’apartheid, ceux de l’ANC et ceux de l’Inkhata à dominante zoulou, Nelson Mandela devient le premier président noir d’Afrique du Sud en 1994. Il mène une politique de réconciliation nationale entre Noirs et Blancs ; il lutte contre les inégalités économiques, mais néglige le combat contre le sida, en pleine expansion en Afrique du Sud. Après un unique mandat, il se retire de la vie politique active, mais continue à soutenir publiquement le Congrès national africain tout en condamnant ses dérives.

Impliqué par la suite dans plusieurs associations de lutte contre la pauvreté ou contre le sida, il demeure une personnalité mondialement reconnue en faveur de la défense des droits de l’homme. Il est salué comme le père d’une Afrique du Sud multiethnique et pleinement démocratique, qualifiée de « nation arc-en-ciel », même si le pays souffre d’inégalités économiques, de tensions sociales et de replis communautaires.

LA LIBÉRATION DE NELSON MANDELA – La Grande Explication.

Biographie

Famille et études

Nelson Rolihlala Mandela est né le 18 juillet 1918 dans le village de Mvezo, au bord de la rivière Mbashe à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Mthatha, capitale du Transkei, dans la province de l’actuel Cap-Oriental en Afrique du Sud. Son prénom, Rolihlahla, signifie « enlever une branche d’un arbre » ou, plus familièrement, « fauteur de troubles »5,6.

Il est issu d’une famille royale Thembu de l’ethnie Xhosa qui règne sur une partie du Transkei7. En effet, son arrière-grand-père paternel est Inkosi Enkhulu, c’est-à-dire roi du peuple thembu8. Le grand-père de Rolihlahla est l’un des fils de ce roi. Non éligible à la succession du trône, il porte le nom de Mandela qui deviendra le nom de la famille.

Le père de Rolihlahla, Gadla Henry Mphakanyiswa, est chef du village de Mvezo9. Cependant, il s’aliène les autorités coloniales qui le déchoient de sa fonction et exilent sa famille dans le village de Qunu. Malgré cela, Mphakanyiswa reste un membre du conseil privé du roi et joue un rôle capital dans l’ascension du nouveau régent Jongintaba Dalindyebo au trône thembu. Dalindyebo se souviendra de son aide en adoptant Nelson Mandela de manière informelle à la mort de son père10. Le père de Mandela a quatre femmes10 qui lui donnent treize enfants10. Rolihlahla Mandela est né de sa troisième femme (troisième d’après un système de classement royal complexe), Nosekeni Fanny du clan Mpemvu Xhosa. Des études génétiques ont révélé que sa mère est d’origine bochimane comme nombre de Xhosas11, comme le soulignait le généticien Luca Cavalli-Sforza en expliquant la forme et la couleur du visage de Mandela. C’est sur les terres de ce clan qu’il passe la plus grande partie de son enfance12.

Rolihlahla Mandela devient le premier membre de sa famille à fréquenter une école et son institutrice, selon une pratique courante à cette époque, lui donne le prénom de Nelson . Nelson Mandela dira : « Le premier jour d’école, mon institutrice, Miss Mdingane, nous a donné à chacun un nom anglais. C’était une coutume chez les Africains à cette époque et elle était sans doute due au penchant anglais de notre éducation. Ce jour-là, Miss Mdingane me dit que mon nom était Nelson. Pourquoi elle m’a donné ce prénom en particulier ? je n’en ai aucune idée. »13 L’enseignement dispensé dans cette école méthodiste lui permet de recevoir une éducation à la fois africaine traditionnelle et européenne14.

Une vie : Nelson Mandela. Brut.

Son père meurt de la tuberculose alors qu’il n’a que 9 ans10 : son oncle, le régent Jongintaba, devient alors son tuteur10. Sa nouvelle école est celle d’une mission méthodiste située à côté du palais du régent. Lorsqu’il atteint l’âge de 16 ans, il subit l’initiation suivant la coutume thembu. Il s’inscrit ensuite au Clarkebury Boarding Institute16, où il obtient son Junior Certificate en deux ans au lieu des trois ans habituels16. Désigné à 19 ans pour hériter de la fonction de conseiller de son père, Mandela poursuit ses études à l’école méthodiste d’Healdtown à Fort Beaufort, fréquentée par la plupart des membres de la famille royale17. Il y pratique, entre autres, la boxe et la course à pied12.

Nelson Mandela released from Victor Verster prison 30 years ago.

Diplômé, il rejoint l’université de Fort Hare, la seule université acceptant les Noirs18 pour y entamer des études en droit. Il y rencontre Oliver Tambo qui devient son ami et collègue. Il y découvre le nationalisme afrikaner, certains disent qu’il n’est pas convaincu par le marxisme diffusé par le Parti communiste sud-africain (SACP), mais il y adhère et sera même membre du comité central du parti1,19. Il rappelle au 9e congrès du parti communiste d’Afrique du Sud en 1992 les liens qui unissent l’ANC et le SACP20. Il niera cependant son ancienne appartenance au SACP durant toute sa vie afin de ménager ses relations internationales21. Il adhère également à la doctrine de non-violence prônée par Gandhi22. La mise en œuvre par Gandhi, en Afrique du Sud même, de la résistance non violente constitue ainsi une inspiration de premier ordre pour Nelson Mandela mais aussi pour plusieurs générations de militants anti-apartheid qui y voient une méthode pour lutter contre l’oppression et le colonialisme23,24.

Intéressé par le débat politique concernant le soutien ou la neutralité de l’Afrique du Sud dans le cadre du conflit imminent entre le Royaume-Uni et l’Allemagne nazie, il est partisan du Royaume-Uni et acclame le vice-premier ministre Jan Smuts, principal soutien politique aux Britanniques, lors de sa venue à Fort Hare pour la cérémonie de remise des diplômes. C’est en discutant avec des camarades hostiles à Smuts et aux Sud-Africains blancs qu’il découvre l’existence de l’ANC25. Au cours de sa deuxième année, il est désigné, malgré lui, pour occuper l’un des six sièges du conseil représentatif des étudiants (CRE)26 en dépit du boycott des élections, auxquelles il participe ; ce conseil est organisé afin d’obtenir l’amélioration de la nourriture et une augmentation des pouvoirs du CRE. Mandela démissionne avec ses cinq camarades mais est encore une fois réélu « malgré lui » avec ces cinq mêmes camarades. Il est le seul cette fois à de nouveau présenter sa démission26. Après une discussion avec le principal de l’université de Fort Hare, il est renvoyé de l’université tout en gardant la possibilité de revenir s’il accepte de siéger au CRE, ce qu’il ne fait pas26.

Peu après ce départ de Fort Hare, le régent annonce à Mandela et Justice, son fils et héritier au trône, qu’il a organisé un mariage arrangé pour chacun d’eux. Les deux jeunes hommes, mécontents de cet arrangement, choisissent de s’enfuir à Johannesburg27. Nelson Mandela explique sa décision par le fait que ses idées sont alors plus avancées sur le plan social que politique et qu’il était alors prêt, non à se révolter contre les Blancs, mais plutôt contre le système social de son propre peuple et ses coutumes traditionnelles28. À son arrivée dans la capitale économique du Transvaal, Nelson Mandela trouve un emploi de garde dans une mine29, mais son employeur annule rapidement le contrat quand il s’aperçoit que Mandela est le fils adoptif en fuite du régent. Nelson Mandela travaille ensuite comme employé dans un cabinet d’avocat grâce à ses relations avec son ami et mentor Walter Sisulu29. Tout en travaillant, Nelson Mandela termine par correspondance sa licence à l’université d’Afrique du Sud, puis commence des études de droit à l’université du Witwatersrand où il rencontre de nombreux futurs militants anti-apartheid.

Lutte contre l’apartheid

Résistance non violente

C’est en 1943 que Nelson Mandela rejoint le Congrès national africain30,31. L’ANC connaît alors une nouvelle vigueur sous la direction d’Alfred Xuma. C’est la même année que Mandela se marie avec Evelyn Ntoko Mase (19222004). En 1945, Xuma introduit pour la première fois l’exigence du suffrage universel non racial (one man one vote) dans les revendications du mouvement, évolution majeure dans la mesure où la revendication communautaire du parti passe de la simple lutte contre les discriminations raciales à une lutte plus large pour le pouvoir politique32. Il doit tenir compte de l’influence croissante de la toute jeune et radicale Ligue de jeunesse de l’ANC menée par Anton Lembede, Walter Sisulu et Oliver Tambo, à laquelle adhère Mandela, et qui incite aux actions de masse afin de lutter contre la domination politique de la minorité blanche et contre la ségrégation raciale, dont les dispositifs légaux sont alors en cours d’uniformisation sur l’ensemble des quatre provinces sud-africaines.

Depuis la fondation de l’Union d’Afrique du Sud en 1910, le pays connaît une inflation de législations ségrégationnistes ou discriminantes. De 1913 à 1942, une succession de lois interdit aux Noirs d’être propriétaire de terres en dehors des « réserves » indigènes existantes qui représentent 7 % de la superficie totale de l’Union sud-africaine33 ce qui provoque l’expropriation de nombreux paysans indépendants noirs et la constitution d’un prolétariat agricole, puis introduit la ségrégation résidentielle permettant aux municipalités de créer des quartiers réservés aux Noirs et de limiter leur urbanisation34 et ensuite supprime les Noirs des listes électorales communes de la province du Cap35,36. Une loi agrandit ensuite les réserves indigènes existantes de 7 à 13 % de la surface du pays, ôtant dans le même temps aux résidents noirs du Cap le droit d’acheter de la terre en dehors des réserves. En 1942, à la suite de plusieurs discours hostiles à l’engagement dans le second conflit mondial et officiellement dans une perspective de « prévention des troubles », les grèves des travailleurs noirs sont déclarées illégales au titre de l’effort de guerre37.

L’histoire de Nelson Mandela Reportage.

Aux élections générales de 1948, la victoire inattendue du Parti national, parti alors exclusivement afrikaner, entraîne la mise en place d’une nouvelle politique de ségrégation connue sous le nom d’apartheid38. Dans ce système, le rattachement territorial puis la nationalité et le statut social dépendent du statut racial de l’individu, défavorisant largement la population noire et interdisant les mariages mixtes. De son côté, la ligue de jeunesse de l’ANC se montre déterminée. En interne, elle parvient à faire écarter Alfred Xuma, jugé trop modéré, pour imposer James Moroka et préparer une grande campagne de défiance39.

En 1951, Olivier Tambo et Nelson Mandela sont les deux premiers avocats noirs de Johannesburg22. En 1952, Nelson Mandela est élu président de l’ANC du Transvaal et vice-président national22. Il mène avec l’ANC, la campagne de désobéissance civile (Defiance Campaign) contre les lois considérées injustes, campagne qui culmine dans une manifestation le 6 avril 1952, date du trois-centième anniversaire de la fondation du Cap et de la première installation de Blancs en Afrique du Sud. Sur les dix mille manifestants, huit mille cinq cents sont arrêtés, y compris Nelson Mandela. La campagne continue en octobre avec des manifestations contre les lois de ségrégation et contre le port obligatoire de laissez-passer pour les Noirs. Le gouvernement Malan modifie alors la loi sur la sécurité publique (Public Safety Act de 1953 (en)) pour autoriser le pouvoir à suspendre les libertés individuelles, à proclamer l’état d’urgence et à gouverner par décrets40. Mandela est condamné à neuf mois de prison avec sursis, se voit interdire toute réunion et est placé en résidence surveillée chez lui à Johannesburg ; il utilise cette situation pour organiser l’ANC en cellules clandestines22. Cette campagne de résistance passive, qui prend fin en avril 1953, permet à l’ANC de gagner en crédibilité, passant de sept mille à dix mille adhérents39. Son option non raciale lui permet de s’ouvrir aux Indiens et aux communistes blancs, mais les métis restent plus circonspects39. Quand James Moroka tente de plaider la conciliation avec le gouvernement, il est renversé par la ligue des jeunes du parti qui impose alors Albert Lutuli à la tête de l’ANC39.

En 1955 a lieu le congrès du peuple, qui adopte la « Charte de la liberté » qui donne les bases fondamentales du mouvement anti-apartheid41,42. Pendant cette période, Nelson Mandela et son ami Oliver Tambo dirigent le cabinet d’avocats Mandela & Tambo qui fournit un conseil juridique gratuit ou à bas coût pour les nombreux Noirs qui ne peuvent payer les frais d’avocats43.

Nelson Mandela assouplit son fort anticommunisme chrétien pour demander l’union entre les nationalistes noirs et les Blancs du Parti communiste sud-africain dans le combat contre l’apartheid. Le Suppression Communist Act du gouvernement, qui considère comme communiste quiconque « cherche à provoquer un changement politique, industriel, économique ou social par des moyens illégaux », alors qu’il n’existe aucune possibilité pour les Noirs, hormis le système judiciaire, de lutter contre l’apartheid, contraint tous les courants allant du nationalisme au révolutionnaire à s’unir22. Au niveau du pouvoir législatif, seuls le Parti uni représentant l’opposition blanche et les métis, et le parti libéral de Margareth Ballinger essayent de lutter contre l’apartheidN 2,N 3,N 4. Alors qu’ils sont engagés dans une résistance pacifique, Nelson Mandela et cent cinquante-six autres personnes sont arrêtés le 5 décembre 1956 et accusés de trahison. Un procès marathon qui dure de 1957 à 1961 s’ensuit, où tous les prévenus, aidés notamment par des fonds internationaux, exploitent toutes les imprécisions de la législation39 et sont finalement progressivement relâchés puis finalement acquittés (en) par la justice sud-africaine44.

En 1957, Nelson Mandela divorce puis épouse en 1958 Winnie Madikizela-Mandela45.

De 1952 à 1959, des militants noirs d’un type nouveau, connus sous le nom d’« africanistes », troublent les activités de l’ANC dans les townships, demandant une action plus drastique contre la politique du gouvernement46. La direction de l’ANC, qui comprend Albert Lutuli, Oliver Tambo et Walter Sisulu, pense que non seulement les africanistes veulent aller trop vite, mais aussi qu’ils remettent en question leur autorité46. L’ANC renforce donc sa position en faisant des alliances avec des petits partis politiques blancs, coloureds et indiens dans une tentative d’apparaître plus rassembleur que les africanistes46. En 1959, l’ANC perd son plus grand soutien militant quand la plupart des africanistes, qui ont l’aide financière du Ghana et politique des Basothos, font sécession pour former le Congrès panafricain (PAC) sous la direction de Robert Sobukwe47.

Campagne de sabotage et préparation à la lutte armée

Le 21 mars 1960 a lieu le massacre de Sharpeville, un township de Vereeniging, dans le Sud du Transvaal. Lors d’une manifestation du Congrès panafricain contre l’extension aux femmes du passeport intérieur, que les hommes noirs sont obligés de porter constamment sur eux sous peine d’être arrêtés ou déportés48, une soixantaine de policiers49 sur un effectif total de trois cents hommes retranchés dans un local de la police et appuyés par des véhicules blindés, tirent sans sommation sur une foule d’environ cinq mille personnes dont seules trois cents sont encore à proximité des policiers, le reste de la foule ayant commencé à se disperser50,49. Il y a soixante-neuf morts, dont huit femmes et dix enfants, ainsi que cent quatre-vingts blessés, dont trente et une femmes et dix-neuf enfants51. La majorité des blessures par balles sont faites dans le dos sur une foule en fuite et non armée50,48. Selon les policiers, les tirs ont été dus à la panique et à l’inexpérience à la suite de jets de pierre, mais la Commission de vérité et de réconciliation, mise en place par Mandela en 1995 après la fin de l’apartheid, a conclu que les tirs étaient délibérés50,52,53. Le gouvernement déclare l’état d’urgence face aux manifestations qui s’ensuivent et interdit l’ANC et le PAC, dont les dirigeants sont emprisonnés ou assignés à résidence. Le Conseil de sécurité des Nations unies vote le 1er avril la résolution 134, qui condamne le massacre et invite le gouvernement sud-africain « à abandonner ses politiques d’apartheid et de ségrégation raciale »54. Albert Lutuli, le président de l’ANC, obtient le prix Nobel de la paix la même année22.

La stratégie non violente de l’ANC est alors abandonnée par Nelson Mandela, qui fonde en 1961 Umkhonto we Sizwe (MK), branche militaire prônant l’action armée55. En mai 1961, il lance avec succès une grève générale où les grévistes restent à leur domicile, obligeant le gouvernement à faire intervenir la police et l’armée22. Il écrit et signe un plan de passage graduel à la lutte armée22. Il coordonne des campagnes de sabotage contre des cibles symboliques56, préparant des plans pour une possible guérilla si les sabotages ne suffisaient pas à mettre une fin à l’apartheid57. Nelson Mandela décrit le passage à la lutte armée comme un dernier recours ; l’augmentation de la répression, les violences policières et de l’État, le convainquent que des années de lutte non violente contre l’apartheid n’ont apporté aucune avancée58,6.

Nelson Mandela favorise le sabotage, qui « n’entraîne aucune perte en vie humaine et ménage les meilleures chances aux relations interraciales », avant de s’engager dans « la guérilla, le terrorisme et la révolution ouverte »22. Un membre de l’ANC, Wolfie Kadesh, explique la campagne de sabotage à la bombe menée par Mandela : « […] faire exploser des lieux symboliques de l’apartheid, comme des bureaux du passeport interne, la cour de justice pour natifs, et des choses comme ça… Des bureaux de poste et… des bureaux du gouvernement. Mais nous devions le faire d’une façon telle que personne ne fût ni blessé ni tué. »59 Mandela dira de Kadesh : « Sa connaissance de la guerre et son expérience de première main du combat m’ont été extrêmement précieuses. »6 Entre 1961 et 1963, quelque 190 attaques armées sont répertoriées, principalement à Johannesburg, à Durban et au Cap60.

En 1962, il quitte l’Afrique du Sud pour la première fois avec le soutien du président tanzanien Julius Nyerere. Il entreprend une tournée continentale pour établir des contacts extérieurs et obtenir le soutien des gouvernements africains dans la lutte armée contre Pretoria. Outre la Tanzanie, il voyage au Ghana et au Nigeria, où fonctionnaient déjà d’importantes sections de l’ANC. Il rencontre le dirigeant nationaliste zambien Kenneth Kaunda, puis, admirateur de Nasser, se rend en Égypte pour s’imprégner des réformes en cours. Au Maroc et en Tunisie, il rencontre de nombreux combattants anti-colonialistes de tout le continent, et part visiter une unité sur le front algérien, estimant que la situation algérienne est celle qui se rapproche le plus de celle de son pays. Enfin, il effectue une série de voyage en Guinée, au Sénégal, au Liberia, au Mali et au Sierra Leone pour procurer des armes à l’ANC61.

Mandela organise l’entraînement paramilitaire du groupe57. Il insiste également sur la formation politique des nouvelles recrues, expliquant que « la révolution ne consiste pas seulement à appuyer sur la détente d’un fusil ; son but est de créer une société honnête et juste »61. Il suit une formation militaire en Algérie nouvellement indépendante et étudie Carl von Clausewitz, Mao Zedong, Che Guevara et les spécialistes de la Seconde Guerre des Boers22. En raison de cet engagement militaire et de la qualification de l’ANC comme « organisation terroriste », Nelson Mandela ainsi que plusieurs autres responsables politiques de l’ANC ne pourront entrer aux États-Unis sans visas spéciaux jusqu’au 1er juillet 200862,63. C’est en effet depuis la présidence de Ronald Reagan en 1986, pendant la guerre froide, que les responsables politiques de l’ANC sont inscrits sur la liste noire américaine du terrorisme (la Terrorist Screening Database (en)), George W. Bush ayant officiellement rayé les membres de l’ANC de cette base de données en juillet 200864,65,66.

Le gouvernement du Royaume-Uni suit la même ligne que les États-Unis à l’égard de l’ANC et de Nelson Mandela. Le Premier ministre, Margaret Thatcher, déclare à propos d’un concert en 1987 : « The ANC is a typical terrorist organisation … Anyone who thinks it is going to run the government in South Africa is living in cloud-cuckoo land’. » (« L’ANC est une organisation terroriste typique … Quiconque pense qu’elle va gouverner en Afrique du Sud n’a pas les pieds sur terre. »). Les déclarations de certains membres du parlement, appartenant eux aussi au Parti conservateur, vont également dans ce sens ; ainsi Terry Dicks (en) : « How much longer will the Prime Minister allow herself to be kicked in the face by this black terrorist ? » (« Combien de temps encore le Premier ministre laissera-t-il un terroriste noir lui cracher au visage ? ») ou encore, dans les années 1980, Teddy Taylor (en) : « Nelson Mandela should be shot ! » (« On devrait descendre Nelson Mandela ! »)67.


Mandela, qui a adhéré dès sa première année d’université à la doctrine de non-violence de Gandhi22, continue à lui rendre hommage des années plus tard en se rendant, en 1990, à New Delhi244, puis en y retournant en janvier 2007 pour le centième anniversaire de l’introduction de la satyagraha en Afrique du Sud245.

Nelson Mandela, dans un essai sur Gandhi, explique l’influence de la pensée gandhienne et son influence sur sa politique en Afrique du Sud :

« Il cherche un ordre économique, une alternative au capitalisme et au communisme, et trouve cela dans la sarvodaya basée sur la non-violence (ahimsa). Il rejette la survie du plus apte de Darwin, le laissez-faire d’Adam Smith et la thèse de Karl Marx sur l’antagonisme naturel entre le capital et le travail, et se concentre sur l’interdépendance entre les deux. Il croit en la capacité humaine de changer et utilise la satyagraha contre l’oppresseur, non pour le détruire, mais pour le transformer, afin qu’il cesse son oppression et rejoigne l’opprimé dans la recherche de la vérité.

Nous, en Afrique du Sud, avons établi notre nouvelle démocratie de manière relativement pacifique sur la base de ces pensées, que nous ayons été influencés ou non directement par Gandhi23. »

Pour l’écrivain sud-africain André Brink, qui a rencontré plusieurs fois Mandela, la non-violence de celui-ci est plus un principe qu’une idéologie. Mandela affirme dans son autobiographie que la non-violence est une stratégie, une décision pragmatique après la revue des différentes options246.

L’absence de résultats de la lutte non violente et le massacre de Sharpeville font passer Mandela à la lutte armée, après qu’il eut essayé de suivre la stratégie gandhienne aussi longtemps qu’il le pouvait23. Il exécute d’abord une campagne de sabotage puis, si celle-ci ne suffisait pas, il planifie une guérilla comme dernier recours57,6. Le succès de la révolution cubaine et les ouvrages de Che Guevara qu’il a lus l’inspirent, et il admire le personnage. En 1991, lors d’une visite à La Havane, Mandela dit que « les exploits de Che Guevara dans notre continent étaient d’une telle ampleur qu’aucune prison ou censure ne pouvait nous les cacher. La vie du Che est une inspiration pour tous les êtres humains qui aiment la liberté. Nous honorerons toujours sa mémoire. »247

Le pouvoir du dialogue et de la réconciliation

Cependant, alors que la violence entre le régime de l’apartheid et l’ANC fait de nombreuses victimes, Nelson Mandela, alors en prison, arrive à une autre conclusion : « Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé248. »

Pendant une réunion capitale entre l’ANC et les généraux retraités de la South African Defence Force et des services de renseignement249, Nelson Mandela déclare que « si vous voulez la guerre, je dois admettre honnêtement que nous ne pourrons pas vous affronter sur les champs de bataille. Nous n’en avons pas les moyens. La lutte sera longue et âpre, beaucoup mourront, le pays pourrait finir en cendres. Mais n’oubliez pas deux choses. Vous ne pouvez pas gagner en raison de notre nombre : impossible de nous tuer tous. Et vous ne pouvez pas gagner en raison de la communauté internationale. Elle se ralliera à nous et nous soutiendra ». Le général Constand Viljoen et Mandela se regardent alors et comprennent la réalité de leur dépendance mutuelle. Pour l’écrivain sud-africain Njabulo Ndebele, l’échange résume l’une des causes de la création de la Commission vérité et réconciliation. Il conclut que, « à la base de tout compromis, il faut que les parties en conflit soient disposées à renoncer à leurs objectifs inconciliables, et tendent ensuite vers un accord qui puisse procurer des avantages substantiels aux uns et aux autres250. »

Pour Mandela, la liberté nouvelle ne doit pas se faire aux dépens de l’ancien oppresseur, autrement cette liberté ne servirait à rien : « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté. L’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité248. »

C’est la garantie donnée aux Blancs qu’ils ne deviendraient pas à leur tour opprimés une fois que la majorité noire aurait pris le pouvoir qui permet aux négociations d’aboutir45. « La vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés […]. Car être libres, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres251. »

Le dialogue n’implique pas seulement de négocier avec son ennemi mais aussi de ne pas couper le contact avec d’anciens amis souvent condamnés par la communauté internationale. En 1998, Nelson Mandela rappelle au président Bill Clinton, lors d’un discours à ses côtés à Tuynhuys dans sa résidence de Cape Town, qu’à l’époque où les États-Unis soutenaient l’apartheid, d’autres pays luttaient contre la ségrégation raciale. Mandela lui explique que « l’un des premiers chefs d’État que j’ai invité dans ce pays a été Fidel Castro… et j’ai aussi invité le frère Mouammar Kadhafi. Je fais cela à cause de notre autorité morale, qui nous dit que nous ne devons pas abandonner ceux qui nous ont aidés aux moments les plus sombres de notre histoire »45. Il dit qu’« l’Afrique du Sud ne sera pas forcée d’abandonner ses alliés iraniens, libyens et cubains, ennemis des États-Unis ». Il rappelle également qu’« il n’a pas besoin du soutien du président des États-Unis lorsqu’il s’agit de politique étrangère. Fidel Castro, le président de Cuba d’alors et Hachemi Rafsandjani l’ancien président d’Iran ont été parmi les premiers chefs d’État invités dans la nouvelle Afrique du Sud », ou encore que « J’ai également invité (Mouammar) Kadhafi… parce que l’autorité morale nous dicte de ne pas abandonner ceux qui nous ont aidé pendant les plus sombres heures »252. Ce discours fait suite à une des visites de Mouammar Kadhafi en Libye, le 23 octobre 1997, pendant lequel les États-Unis l’avaient menacé. Il avait alors remercié Kadhafi d’avoir entraîné l’ANC. Les journaux occidentaux, ont décrit cette visite comme un « saint qui rencontre un chien enragé », mais dans son discours à Tripoli, Mandela rappelle qu’il était heureux de rencontrer de nouveau ceux qui ont aidé le mouvement anti-apartheid, tout en rappelant qu’au même moment, les Nations « occidentales » soutenaient les blancs d’Afrique du Sud et leur apartheid. Mandela rend une autre visite à Kadhafi, ainsi qu’au parlement de Libye, le 19 mars 1999253.

Ubuntu, « nous sommes les autres » « nous sommes donc je suis »

The Ubuntu Experience (Nelson Mandela Interview).

Article détaillé : Ubuntu (notion).

Nelson Mandela adhère à l’éthique et la philosophie humaniste africaine d’Ubuntu, avec laquelle il a été élevé254. Ce mot des langues bantoues non traduisibles directement, exprime la conscience du rapport entre l’individu et la communauté et est souvent résumé par Mandela avec le proverbe zoulou « qu’un individu est un individu à cause des autres individus »255,254 ou comme défini par l’archevêque anglican Mgr Desmond Tutu, auteur d’une théologie ubuntuN 7« mon humanité est inextricablement liée à ce qu’est la vôtre »256. Cette notion de fraternité implique compassion et ouverture d’esprit et s’oppose au narcissisme et à l’individualisme14. Mandela explique lui-même cet idéal dans une vidéo pour le système d’exploitation libre du même nom :

« (Respect. Serviabilité. Partage. Communauté. Générosité. Confiance. Désintéressement. Un mot peut avoir tant de significations) C’est tout cela l’esprit d’Ubuntu. Ubuntu ne signifie pas que les gens ne doivent pas s’occuper d’eux-mêmes. La question est donc, est-ce que tu vas faire cela de façon à développer la communauté autour de toi et permettre de l’améliorer ? Ce sont les choses importantes dans la vie. Et si on peut faire cela, tu as fait quelque chose de très important qui sera apprécié. »

Ubuntu a marqué la constitution de 1993 et la loi fondamentale de 1995 sur la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation257. Quand il a créé la ligue de jeunesse de l’ANC en 1944, le manifeste du mouvement souligne que, « à l’inverse de l’homme blanc, l’Africain voit l’univers comme un tout organique qui progresse vers l’harmonie, où les parties individuelles existent seulement comme des aspects de l’unité universelle »14.

Ubuntu est considéré par Nelson Mandela comme la philosophie d’aider les autres mais aussi de voir le meilleur en eux, principe qu’il applique tout au long de sa vie : « les gens sont des êtres humains, produits par la société dans laquelle ils vivent. Vous encouragez les gens en voyant ce qui est bon en eux »254. C’est également pour lui une notion historique, l’invasion des colons blancs qui dépossèdent le peuple Xhosa de ses terres et de sa société démocratique coïncidant avec la perte de l’ubuntu ancestral254.

Lutte contre la ségrégation raciale, l’oppression et la pauvreté

Opposé à la domination d’une ethnie sur une autre, comme il l’avait déclaré à Rivonia, Nelson Mandela condamne en 2001 certaines personnalités noires qui font des remarques racistes sur la minorité des Indiens, et s’inquiète de la « polarisation raciale » de la politique qui provoque la peur des minorités. Appelant l’ANC à régler la situation, il blâme au passage l’organisation, soulignant que « certains commentaires de certains dirigeants de l’ANC n’avaient pas amélioré la situation »258. Il condamne également les émeutes contre les immigrés qui ont lieu dans tout le pays en 2008 : « Rappelez-vous l’horreur de laquelle nous venons ; n’oubliez jamais la grandeur d’une nation qui a réussi à vaincre ses divisions et à arriver où elle est ; et ne vous laissez jamais à nouveau entraîner dans cette division destructrice, quels qu’en soient les enjeux259. »

Pour Nelson Mandela, l’oppression découle du racisme : « Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit260. »

Il compare l’injustice de la pauvreté et des inégalités à l’apartheid : « La pauvreté massive et les inégalités obscènes sont des fléaux de notre époque qui ont leur place à côté de l’esclavage et de l’apartheid45. » Lors d’un discours pour la réception du prix Ambassadeur de la conscience remis par Amnesty International, Nelson Mandela déclare que « vaincre la pauvreté n’est pas un geste de charité. C’est un acte de justice »261. En 2000, pour le dixième anniversaire de sa libération, il mentionne encore que « personne ne pourra se reposer en paix tant que des gens seront courbés par le poids de la faim, des maladies, du manque d’éducation, et tant que des millions d’autres personnes à travers le monde vivront dans l’insécurité et la crainte quotidienne. »262

Nelson Mandela a aussi milité sur la place des personnes handicapées dans la société sud-africaine263. Et pour cause : lui-même, atteint de surdité264, conséquence sans doute de ses traitements contre la tuberculose, portait un appareil auditif265.

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